Les blessés de la révolution et les rares personnes qui les soutiennent au quotidien se plaignent d’une situation chaotique, parfois d’un réel déni, qui freine une prise en charge médicale efficace.
Pour comprendre la situation des blessés de la révolution, notre premier travail fût de chercher un chiffre. Cette première recherche fût une première déconvenue : aujourd’hui, aucune liste n’est encore officiellement fixée. En février 2011, le Premier ministre Mohammed Ghannouchi exige du ministère de l’Intérieur un recensement du nombre de blessés, pour « calmer le jeu devant la contestation naissante des familles » nous dit-on au ministère des Droits de l’Homme. Aujourd’hui, cette liste s’arrête à 3727 blessés, un chiffre qu’utilisent les institutions, bien que d’autres décomptes aient été donnés. Une commission d’enquête, créée en février 2011 selon les vœux de la loi n°8 et menée par Taoufik Bouderbala, a dénombré quant à elle 2085 blessés. Le nombre de « grands blessés » – souvent des blessés par balles – diffère aussi, allant, en fonction des différentes institutions et commissions, de 180 à 332 personnes. Résumé laconique d’un fonctionnaire du ministère des Droits de l’Homme : « nous possédons des listes mais pas de liste finale. » Le Haut comité des droits de l’Homme, sous la présidence de Nourredine Hached aurait dû, selon des sources au ministère des Droits de l’Homme, examiner de près les besoins médicaux des blessés et les dénombrer, mais Hached ayant démissionné en mai 2012, le travail n’a pu être terminé.
Une confusion généralisée
Cette confusion qui existe dans le simple recensement des blessés semble systématique et freine l’avancée du dossier. Au ministère des Droits de l’Homme, qui selon le décret n°22 du 19 Janvier 2012 est chargé de « proposer des mesures d’urgence pour les blessés de la révolution », on essaie de s’expliquer : « il y a eu un empressement des premiers gouvernements d’intérim, mais pas une réelle bonne volonté. L’actuel gouvernement aimerait mieux faire, mais souffre des retards accusés. Quant à nous, notre ministère a été crée tardivement, en janvier 2012, et rattrape le dossier en plein vol. » L’ONG de stature internationale Human Rights Watch (HRW) s’est récemment fendue d’un rapport pour tenter d’éclairer la situation. Amna Guellali juriste pour HRW, nous donne son sentiment, formé à l’issue de son enquête : « tout le processus a été caractérisé par un côté improvisé, les responsabilités ont été fragmentées et aucune structure n’a été crée pour s’occuper exclusivement du sort des blessés. » Certes, les bonnes volontés ne manquent pas. La Présidence notamment, a toutes les grâces des militants associatifs : souvent, elle vient en aide aux blessés en leur glissant un billet pour régler la facture d’une clinique. Quoiqu’il en soit, les blessés ont pour la plupart reçu des soins « au coup par coup », multipliant les allers retours entre hôpitaux publics, militaires, cliniques privées en Tunisie ou à l’étranger (Qatar, France, Turquie) au gré des soubresauts politiques et en fonction des institutions se repassant le dossier. Beaucoup ont été admis dans des structures qu’après des mobilisations – manifestations, grèves de la faim… – ou ont dû compter sur les bonnes grâces de généreux donateurs souvent anonymes pour avoir accès à des soins dans le privé. En attendant, leurs blessures s’aggravent et leur moral s’amenuise.
Plaintes des associations et des blessés
Un décret-loi, le n°97 adopté le 24 octobre 2011 par le gouvernement provisoire prévoit pourtant un soutien financier et un accès gratuit aux soins. Effectivement, des cartes de soins ont été distribuées au cours de l’année 2012. Malgré tout, des militants associatifs et des blessés nous ont rapporté des faits parfois effrayants : des accueils froids dans les hôpitaux publics et militaires, des propos déplacés pour ne pas dire malveillants qui se résumeraient peu ou prou à : « si vous êtes blessés, c’est que vous l’avez cherché. » Fhimt a effectivement rencontré au cours de ce travail de très nombreuses personnes refusant de se pencher sur ce dossier pour une raison bien tranchée : parmi les blessés, on trouverait un trop grand nombres de « pillards et de voyous ». Selon Salma Tlini, psychologue et président de l’association Nsitni, active auprès des blessés, cette lenteur dans la prise en charge est dommageable pour la psychologie des blessés : se sentant délaissés, ils deviennent méfiants même vis-à-vis de toute action entreprise pour leur venir en aide. Nabil Ben Salah, médecin chapeautant une commission médicale – crée en janvier 2012 – chargée d’évaluer les besoins en soins des blessés, assure que son équipe, comme le reste des personnes investies dans le dossier travaille d’arrache pieds. Il s’emporte même contre les militants, dont certains dressent selon lui les blessés contre les institutions. Il reste pourtant forcé d’admettre les retards pris dans le processus : les soins apportés immédiatement après la révolution, dans la plus grande confusion, n’étaient pour la plupart que des « premiers soins ». Quant aux eschares apparues sur le corps de nombreux blessés par balles, il concède qu’elles reflètent un manque d’accompagnement psychologique ou de suivi médical précis. En se penchant sur la commission qu’il dirige, on découvre qu’elle aussi, est victime de la désorganisation évoquée plus haut : elle n’aurait dû être créée qu’à l’issue du rendu d’un recensement et faute de son existence, elle ne travaille qu’avec les blessés qui se déplacent spécialement à ses locaux (à Sfax, Sousse et Tunis).
Des besoins mal gérés ?
Yassine Jablaoui, médecin, avance – calmement et en toute objectivité – des pistes pour essayer de comprendre les manquements dans la prise en charge médicale malgré l’existence d’une loi cadre. Il reconnaît les avantages de la carte de soins mais souligne qu’elle ne suffit pas sans un accompagnement dans les soins assuré par des professionnels. Les blessés, dispersés dans différentes villes ne savent pas toujours dans quel hôpital se rendre, où trouver les médicaments rares, etc. De plus, les cartes de soins ne couvrent les frais que des seuls médicament disponibles en hôpital public, or de nombreux blessés ont besoin de produits vendus seulement dans le privé et excessivement onéreux. Elles ne couvrent pas non plus tous les examens et analyses médicales indispensables pour savoir vers quelle structure se tourner. Beaucoup de blessés (ils sont dans leur écrasante majorité des gens pourvus de peu de moyens financiers) n’ont du coup pas accès à un matériel qui permettrait des guérisons plus rapides et moins douloureuses : crèmes et matelas anti eschare par exemple. Le manque d’accompagnement et de conseils fait aussi cruellement défaut pour assurer une prise en charge psychologique et psychiatrique, obligatoire pour que les blessés graves se reconstruisent suite aux douleurs, aux amputations ou à la paralysie.
Devant cette situation aussi alarmante que compliquée, Fhimt a décidé de soutenir les associations venant en aide aux blessés en mettant en ligne du matériel d’information pour mieux comprendre la situation ainsi que les cas détaillés de quelques blessés pour qui veut leur venir en aide.